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Francophonies d'Amérique. No. 54, Automne 2022
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Francophonies d'Amérique. No. 54, Automne 2022
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Publisher:
Centre de recherche sur les francophonies canadiennes - Francophonies d'Amérique
DRM:
Watermark
Publication Year:
2022
ISBN-13: 9782760344518
Description:
Composées de plus de 30 millions de francophones et de francophiles, les francophonies des Amériques se caractérisent par de multiples traits historiques, culturels et sociolinguistiques singuliers. Métis du Manitoba, Barcelonnettes au Mexique, Franco-Yukonnais, Acadiens, Cajuns de Louisiane, Franco-Américains du Vermont, expatriés belges de Toronto, résilience et diaspora haïtiennes, communautés créoles des Antilles et de Guyane, métropole de Montréal, nation québécoise, chercheurs et enseignants mais aussi tous publics francophones et francophiles de l’Amérique latine : tous ces peuples et ces communautés participent à la construction d’un ensemble « francophone » marqué par de profonds contrastes, mais aussi par de multiples points de rencontre. Il s’agit bien de groupes qui débordent largement les frontières des territoires canadien, québécois, antillais, guyanais, saint-pierrais, où le français bénéficie d’un statut officiel.

Or, on peut se demander si cette « francophonie américaine » déclinée au pluriel existe en tant que telle et, si oui, sous quelle(s) forme(s). A priori, dans les Amériques, les francophonies sont tout à la fois archipel, millefeuille et mosaïque.

Des francophonies archipels car, à l’échelle de ce vaste continent, on trouve des communautés numériquement fortes, comme le Québec, avec ses près de 8 millions de locuteurs de français, mais aussi des communautés plus disparates, parfois à l’échelle d’une petite ville ou même d’un village, comme certaines communautés rurales ou semi-rurales en Ontario ou dans l’Ouest canadien ou encore San Rafael, au Mexique, et Pelotas, au Brésil.

Des francophonies millefeuilles, allant de l’hyperlocal au plus global, puisqu’il est possible de parler de francophonie nord-américaine, de francophonie acadienne, de francophonie néo-brunswickoise, de francophonie cajun, de francophonie du Madawaska, de francophonie latino-américaine, de francophonie antillaise ou encore de francophonie mexicaine ou de francophonie du quartier Vanier d’Ottawa. Chacune d’entre elles connaît des enjeux sociolinguistiques qui lui sont propres et qui vont contribuer à en définir la singularité.

Des francophonies mosaïques et plurisectorielles, aux enjeux bien différents, également. Ces enjeux sont surtout culturels, artistiques et sociolinguistiques pour les francophonies en Amérique latine; ils concernent le respect du droit des minorités linguistiques pour les francophonies canadiennes de l’Ouest; ils portent une attention particulière aux questions du renouvellement de la Loi sur les langues officielles au Nouveau-Brunswick; ils sont identitaires et posent directement la question de la reconnaissance pour la nation acadienne, ou même de la souveraineté pour la nation québécoise… Et cela sans compter les secteurs économiques, diplomatiques, le domaine de l’immigration et des mobilités : autant de lieux ou de milieux eux aussi concernés par les enjeux sociolinguistiques, dans lesquels la francophonie porte parfois une parole « à part », « en marge », convergente ou divergente, concordante ou discordante avec son environnement proche.

Ce constat a amené le Centre de la francophonie des Amériques et la revue Francophonies d’Amérique, en partenariat avec la Chaire Senghor en francophonies comparées de l’Université de Moncton et la Chaire Margaret Atwood/Alanis Obomsawin/Gabrielle Roy de l’Université nationale autonome du Mexique, à lancer un numéro spécial sur la diversité des francophonies des Amériques, ayant pour but d’explorer les contrastes et les similitudes qui caractérisent les différentes manifestations de l’expression en français sur le continent américain. Dès lors, la revue Francophonies d’Amérique s’ouvre encore plus au fait francophone en ciblant sa pluralité : les francophonies des Amériques.

Ce numéro est donc en quelque sorte la rencontre entre deux pluriels : celui porté par le Centre de la francophonie des Amériques et celui porté par la revue Francophonies d’Amérique. Ces « pluriels croisés » ne nous semblent pas anodins dans leur rencontre et posent clairement l’enjeu central de la place des multiples diversités à l’oeuvre dans ce qui constitue le creuset des rencontres possibles entre Amériques en francophonie, mais aussi entre francophonies en Amérique.

Le défi était de taille, et en soi passionnant pour l’équipe issue de milieux, de cultures et d’espaces linguistiques fort divers, qui s’est constituée autour de ce projet. Il s’agissait pour nous de voir si, au-delà du fait de partager une langue, des lignes de force pouvaient être repérées quant à l’idée d’une « communauté linguistique », et a fortiori quant à l’idée d’une communauté scientifique ayant le français en partage en sciences sociales et humaines, dans les Amériques. Il s’agissait aussi de refléter les grands contrastes qui touchent nos communautés francophones, de saisir les mouvements qui les font converger; le but étant de mieux comprendre si cette constellation de francophones nous permet de « faire francophonie » dans le continent et si ce « faire francophonie » peut se refléter dans la production et la diffusion de la recherche en français.

Les textes attendus devaient donc présenter des recherches en cours ou des recherches abouties portant soit sur les francophonies américaines dans leur ensemble, soit sur les dimensions archipélagique, multiscalaire ou multisectorielle évoquées plus haut, en abordant des thématiques, telles que (et la liste proposée aux chercheurs intéressés n’était, bien sûr, pas exhaustive) l’état des recherches sur les francophonies du continent américain; les migrations et les mobilités francophones à l’échelle continentale; les francophonies minoritaires ou majoritaires, leurs enjeux et leurs possibles rapports; les relations diplomatiques et l’apport des réseaux francophones et francophiles; les formes d’art et de littérature dans leur métissage et leurs ancrages; les réseaux d’enseignement de français langue étrangère et/ou de français langue seconde; les coopérations interuniversitaires entre francophonies américaines; les réseaux littéraires et artistiques établis par les francophones des Amériques; les initiatives d’acteurs locaux qui ont un lien avec des francophonies; les politiques de reconnaissance des francophonies ainsi que les représentations identitaires et les revendications socioculturelles; le rôle des institutions internationales; la place de la (ou les besoins de) coopération entre les francophonies américaines; et, enfin, le statut de la langue française à l’échelle locale, régionale, nationale ou continentale.

Cette approche et ce (large) panorama de thèmes possibles nous permettaient d’espérer des textes variés, avec des contributions transversales et d’autres plus contextualisées, des analyses de cas ou de secteurs, dans des perspectives plutôt comparatives. Traditionnellement, la revue Francophonies d’Amérique couvre surtout des recherches concernant les francophonies canadiennes, même si, numéro après numéro, les francophonies antillaises, états-uniennes ou latino-américaines y trouvent parfois leur place. L’objectif était donc d’ouvrir le plus grand possible les portes de la revue, en étant résolument transdisciplinaire et réceptif à toute forme de travaux.

Les propositions reçues ont largement dépassé nos attentes. Elles nous ont permis de faire un tour d’horizon sur la richesse de la production scientifique en français et sur le français, mais aussi de prendre connaissance des singularités des francophonies des quatre coins des Amériques. Les thèmes proposés orbitaient autour de plusieurs domaines majeurs, à commencer par le champ de l’enseignement-apprentissage du français. Ces manuscrits traitaient d’un observatoire de la langue française en Amérique latine; du développement psychosocial d’élèves de français langue étrangère; de la formation de professionnels en lettres françaises; de l’utilisation du français dans des cours d’éducation physique de grandes villes latino-américaines; de l’influence de l’anglais sur l’apprentissage du français langue étrangère; de la perception de l’hospitalité en milieu universitaire francophone minoritaire chez les nouveaux arrivants. Le champ littéraire a été exploité à partir des imaginaires enfantins dans les oeuvres d’artistes antillais ou canadiens; de la francophonie littéraire et identitaire cadienne/cajun en Louisiane; de la traduction des contes créoles vers le français; des expériences de transculturation et d’intégration dans des oeuvres littéraires. Les enjeux linguistiques et sociolinguistiques ont été analysés à la lumière du paysage linguistique en zone frontalière; de l’insécurité linguistique chez des locuteurs de français langue étrangère en Amérique du Sud; des politiques linguistiques et de l’aménagement sociolinguistique en Louisiane francophone; de l’assimilation linguistique des francophones en Alberta; de la place accordée à la francophonie dans des cursus en lettres françaises. Des thématiques reliées à l’immigration ont elles aussi été abordées dans les manuscrits reçus. Il s’est agi de saisir l’intégration des peuples micmac et afro-néo-écossais en Nouvelle-Écosse; de comprendre les traits de l’immigration francophone dans les Territoires du Nord-Ouest et de l’immigration française au Brésil; et d’analyser les discours sur l’immigration comme facteur explicatif de la formation du Canada français. Des phénomènes historiques et identitaires ont été l’objet de propositions également. On a ainsi analysé le rôle des francophones canadiens durant la Première Guerre mondiale; les problématiques reliées au terme « mitchif »; le Congrès mondial acadien; et, enfin, la francotropie comme notion regroupant la diversité des rapports à la langue française dans les Amériques.

Bien sûr, comme il est de coutume pour une revue à comité de lecture, les textes finalement soumis et évalués ont été un peu moins nombreux que les propositions initialement acceptées. Toutefois, le nombre de propositions retenues a lui aussi dépassé nos attentes, au point qu’il faudra deux numéros, et non un seul, pour publier l’ensemble de ces textes.

Ce premier numéro rassemble cinq articles et deux notes de recherche, lesquels recouvrent comme voulu plusieurs espaces géographiques : le Québec, la Louisiane, Haïti, le Mexique, l’Acadie, l’Alberta, le Brésil, l’Argentine et la Martinique.

Le tout premier article, « Ina Césaire et la traduction du conte créole vers le français : conservatrice de l’imaginaire antillais », écrit par Jéssica Pozzi (Université fédérale du Rio Grande do Sul), nous invite à découvrir l’univers littéraire, mais aussi historique et sociolinguistique de l’espace francocréolophone des Antilles françaises. L’autrice analyse l’oeuvre d’Ina Césaire, écrivaine martiniquaise et ethnologue de formation, d’après l’entreprise complexe de traduction ou de recréation de l’« oraliture », c’est-à-dire de la tradition littéraire orale. Dans cet univers marqué par des contes, des légendes et des devinettes, l’activité de traduction/recréation de Césaire implique une double démarche : passer de l’oral à l’écrit et du créole au français, et ce, tout en s’appuyant sur son expérience d’ethnologue.

Le deuxième article, « Un Canada français à la croisée des chemins : le discours de L’Action française et de L’Action nationale sur la question de l’immigration (1917-1967) », rédigé par l’historien Jean-Philippe Croteau (Université de Tokyo), montre que l’enjeu migratoire a fortement influencé les discours nationalistes véhiculés par les deux revues mentionnées dans le titre. Ce texte fait état d’un changement de paradigme discursif, lequel est passé d’un rejet des politiques d’immigration, durant l’avant-guerre, à une vue plus favorable à l’immigration, considérée comme une condition sine qua non pour la survie du français. Au-delà de son intérêt historique, cet article nous donne à voir une nouvelle facette de l’immigration au Canada, à savoir la maille discursive qui marque l’accueil dans ce pays.

« Approches ethno-sociolinguistique et énonciative d’un recueil poétique militant : Je suis cadien de Jean Arceneaux », article écrit par Marc Gonzalez (Université Paul-Valéry – Montpellier 3) et par Georges Kliebenstein (Université de Nantes), nous invite à nous tourner vers la Louisiane, en exploitant à nouveau l’univers littéraire et poétique. Par l’analyse des valeurs du « je » impliqué dans l’expression « je suis cadien », les chercheurs pointent les forces identitaires et revendicatrices du recueil d’Arceneaux.

Le quatrième article de ce périple à travers les Amériques nous mène en Acadie, espace à la fois symbolique, historique et subjectif, associé aux régions de l’Est du Canada. Dans « Rassembler les Acadies d’ici et d’ailleurs : le cas du Congrès mondial acadien », Éric Forgues (Institut canadien de recherche sur les minorités), Laurence Arrighi (Université de Moncton), Tommy Berger (Université de Montréal), Clint Bruce (Université Sainte-Anne), Audrey Paquette-Verdon (Université Sainte-Anne), Christine Paulin (Université de Moncton), Christophe Traisnel (Université de Moncton) et Émilie Urbain (Carleton University) explorent les effets produits sur le plan identitaire par le Congrès mondial acadien de 2019.

Le cinquième article, « Langue, capital et pouvoir social : reconstituer l’assimilation linguistique des francophones de l’Alberta au début du xxe siècle », traite des différentes dimensions de l’expérience de l’assimilation linguistique, telle qu’elle a eu lieu dans la province de l’Ouest canadien. Guillaume Durou (Université de l’Alberta) réfléchit aux dynamiques d’assujettissement des locuteurs francophones – appelés canadiens-français – aux idéologies anglo-normatives.

Enfin, les deux notes de recherche nous conduisent vers le sud du continent, en Amérique latine. Iveth Lozano Palacios (Benemérita Universidad Autónoma de Puebla) dresse un « Panorama de la francophilie et de l’enseignement du français au Mexique », tant du point de vue diachronique que synchronique. Pour leur part, dans « Vers un observatoire des pratiques et des apprentissages du français en Amérique latine : contexte et motivations », Patrick Chardenet (Université de Franche-Comté), Eliane Lousada (Université de São Paulo) et Aline Hitomi Sumiya (Université de São Paulo) développent une réflexion à la fois épistémologique et empirique à propos de la construction et de la pertinence d’un observatoire de la langue française en Amérique latine.

Au regard des thèmes, des espaces, des auteurs rassemblés, nous ne pouvons que nous féliciter d’avoir été invités à matérialiser l’aventure éditoriale mise en place par le Centre de la francophonie des Amériques ainsi que par la revue Francophonies d’Amérique. Il ne s’agit pourtant que d’une première étape. Même si la porte a pu être entrebaîllée sur la diversité des faits francophones du continent, il conviendrait sans doute de l’ouvrir encore davantage, d’autant plus que les propositions reçues témoignent de la richesse des connaissances scientifiques en français et/ou sur le français dans les Amériques. On constate en effet que les articles retenus, dans ce premier numéro, restent très liés, par leurs auteurs ou par leurs thématiques, aux francophonies canadiennes ou nord-américaines. L’exercice amorcé dans ce premier numéro devra, dans le second numéro spécial, mettre encore mieux en dialogue les différences, voire les divergences des cultures scientifiques du continent. Il devra également valoriser le rôle de la revue comme espace de rencontre des pluriels croisés que nous avons choisi de mettre en exergue. Il s’agira, en somme, de continuer de faire communauté scientifique en français, d’illustrer et de valoriser la pluralité des francophonies et des Amériques, pour que l’arbre-Francophonie qu’Antonine Maillet appelle de ses voeux continue de faire entendre une harmonie de voix et de couleurs.
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